mercredi 1 juin 2016

16 mois de stabilité, une chance ?

Atelier peinture avec des bénévoles de C.L.A.S.S.E.S. devant le squat de Roger-Salengro, à Villeurbanne
L'évacuation du squat de l'avenue Salengro, à Villeurbanne, en mars, a laissé trois familles roms à la rue, et porté un coup dur aux parcours d'insertion laborieusement initiés par ses habitants.

Jeudi 10 mars 2016, peu après 8 heures. Le 204, avenue Roger-Salengro, à Villeurbanne, vient d'être vidé de ses derniers occupants. Cinquante adultes et quinze enfants environ. En seize mois, cette petite maison sur un étage a vu défiler plus de vingt familles roms à la recherche d'un toit. La police  a chassé, manu militari, ceux qui occupaient toujours les lieux en cette belle matinée de mars. Les membres de C.L.A.S.S.E.S. et d'autres associations, arrivés sur place peu après le début de l'opération, assistent à la scène, impuissants. Les familles se savaient en sursis. Le terrain était destiné à un projet immobilier de la Ville. Mais l'opération, attendue pour la fin du mois, a pris tout le monde par surprise.

Le 204, avenue Salengro était un squat. Mais c'était surtout un lieu de vie. Certaines familles y vivaient depuis 16 mois. Une demeure de fortune pour des familles sans cesse ballotées de camps en squats, en quête d'un lieu où s'établir durablement. Cette relative stabilité a permis à certains d'avancer dans leurs parcours d'insertion, jusqu'à obtenir un emploi,  et enfin un logement en bout de course.

Parmi les occupants, 15 familles suivis par C.L.A.S.S.E.S.  :
6 familles avaient ouvert le squat en novembre 2014, chassées de leur dernier lieu de vie.
9 autres étaient venues les rejoindre au cours de l'année 2015.

22 enfants ont été scolarisés et ont ainsi pu reprendre l'école interrompue par leur dernier exil, pour y vivre une enfance presque normale... en attendant la prochaine expulsion.
  • 16 en primaire, à Villeurbanne
  • 6 au collège, à Lyon, Villeurbanne et Rillieux-la-Pape

Quant aux adultes, sept d'entre eux ont profité de cette stabilité provisoire pour trouver un travail.
Quatre de ceux qui ont un emploi ont même fini par avoir un logement stable pour leur famille. Car c'est bien l'emploi qui permet d'accéder à un logement durable et décent. Les deux autres vivent temporairement à l'hôtel, une autre famille est encore en squat.

5 de ces familles vivaient encore là le jour de l'expulsion
    • 2 ont été placées à l'hôtel le soir même dans le cadre du plan froid, car elles ont des enfants de moins de 3 ans
    •  2 ont cherché des places dans d'autres squats
    • 1 est repartie en Roumanie

L'expulsion a été soudaine.
Résultat : trois familles à la rue, sept enfants déscolarisés, un emploi perdu et un retour forcé en Roumanie.

Occupé à gérer l'urgence, l'un de ceux qui avaient trouvé un travail n'a pu s'y rendre durant plusieurs jours. Il a perdu son emploi. Sur les onze enfants encore scolarisés sur place, seul quatre ont pu retrouver le chemin de l'école, après un mois d'interruption, et un changement d'école pour deux d'entre eux.  Des trois familles laissées sur le trottoir, ce jeudi, l'une a dû se résoudre à rentrer en Roumanie, un pays qu'ils avaient fui pour échapper à la condition de parias qui les y attend sans doute.


TRISTE DEPART

« La famille, à la rue depuis ce matin avec ses six enfants, a passé la journée sur la pelouse du rond-
point. Par chance il fait beau, nous avons partagé le café, les bananes, les jeux de ballons et les
chansons. Il ne reste plus qu’eux. Nous avons tout essayé, appelé partout, pas de solution. Le papa se résout à organiser un départ en Roumanie pour sa famille. Alors les enfants sortent de leurs sacs à
dos leurs cahiers et leurs cartes de bus, et viennent me les remettre, un par un. Avec délicatesse, ils
me les confient, en silence. »
« Que dois-je comprendre ? Que je dois prendre soin de ces pages d’écriture maladroite, de ces traces
de votre vie d’élève, parce qu’elles vous sont précieuses ? Que là où vous allez il n’y a pas de place
pour eux ? Que vous imaginez de revenir, et que je sois toujours là, avec vos cahiers, et que tout
recommence ? »
« Vos sacs étaient bourrés de tout ce que vous aviez pu sauver dans la panique de l’expulsion,
vêtements, provisions. Mais vous aviez gardé vos cahiers ! »
Pour vous l’école est une chance, mais aussi un luxe, rare. Où êtes-vous maintenant, que faites-
vous ? »
« Je garde vos cahiers. Précieusement. »
 Blandine Billaux




CHAQUE EXPULSION EST UN COUP DUR
Outre le traumatisme provoqué par ces opérations, les conséquences négatives des expulsions sont multiples.
Quand elle sont menées sans préavis, comme ça été le cas à Villeurbanne le 10 mars 2016, elles empêchent les habitants d'anticiper sur la suite, de chercher des solutions et d'organiser leur départ. Cela entraîne donc nécessairement des situations à régler dans l'urgence. Des familles entières se retrouvent ainsi à la rue avec leurs enfants.
Les relogements en hôtels se font dans des endroits généralement éloignés des précédents lieux de vie, ce qui rend difficile et coûteuse la poursuite de la scolarité pour les enfants, et complique l'accès à leur lieu de travail pour les parents. Le problème se présente également pour ceux qui trouvent des places dans de nouveaux squats, souvent éloignés des précédents lieux de vie eux aussi. 
La dispersion des familles brise par ailleurs l'unité des groupes, dans lesquels naissent des liens de solidarité précieux pour la subsistance d'une population vivant dans un tel dénuement.
Enfin, les lieux de vie sont évacués à la hâte. Les habitants ne prennent donc que le minimum nécessaire, laissant derrière eux le peu qu'ils avaient pu acquérir le temps que dure un squat. Ils ne peuvent rien récupérer par la suite. Dans la précipitation, l'un des enfants du 204, avenue Salengro, s'était, par exemple, trompé de sac au moment de quitter les lieux. Il s'est donc retrouvé sans autres habits que ceux qu'il portait sur lui. Une petite fille avait, elle, oublié ses lunettes. Elle n'a jamais pu les récupérer. En faire refaire s'avère problématique pour une famille démunie.